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Salut Sylvain !, un bel album et un hommage intelligent

J'écris ces réflexions sur Salut Sylvain ! (lien iTunes), pour moi-même d’abord, puis pour dire, tout simplement, que j'aime beaucoup cet album. En temps normal, je n'oserais pas me croire le moindrement qualifié pour parler de musique, mais je suis minimalement qualifié en ce qui a trait à l'oeuvre de Sylvain Lelièvre parce que je suis en quelque sorte un super fan : je la connais toute par coeur, et j'ai publié cet automne mon premier roman qui est dédié à Sylvain et qui contient un hommage à ma manière.

Tout d'abord, un verdict général, pour ceux qui, comme moi, pourraient se montrer sceptiques face à un album de reprises : c'est très bien fait. Sous la direction artistique de Monique Giroux et avec Alex McMahon à la réalisation, les interprètes n'ont aucunement tenté d'« améliorer » les chansons en les chantant plus fort et avec plus d'émotion, au contraire : la retenue est palpable partout, ou dans certains cas du moins la bonne mesure. Aussi, une note : vous ne me verrez pas dire laquelle est meilleure, de la reprise ou de l'originale. L'originale existe toujours (liens iTunes tout en bas!), ce qui est fantastique, alors pour être bonne et pertinente, la reprise doit apporter un éclairage différent sur la chanson.

Salut Sylvain !

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L'album s'ouvre, comme la carrière « populaire » de Sylvain, sur Petit matin, cette fois chantée par Ariane Moffatt. Alors que l'originale avait une mélodie relativement joyeuse, accompagnée des sifflements de Stéphane Venne, et se terminait sur un air de piano « de ma grand-mère » presque dansant, cette version s'ouvre sur une mélodie de piano lente et froide, où s'ajoutent des notes (et des instruments) à mesure que la chanson avance et qu'Ariane Moffatt chante le « gris » du monde.

Étant de nature plutôt joviale et optimiste, je suis d'abord resté perplexe devant cette lecture, me demandant si l’inquiétude exprimée si fort était justifiée. Mais au lendemain de l'élection de Trump, je ne peux pas m'empêcher de trouver que la version d'Ariane Moffatt chante exactement 2016. (Youtube)

En ce sens, Petit matin est la première des chansons « engagées » de l'album. Je mets le mot entre guillemets parce que n'ai jamais eu l'impression que les chansons de Sylvain étaient engagées « pour être engagées ». Toutes ses chansons sont le produit de la même sensibilité, et celle-ci se manifeste de façon assez cohérente d'une chanson à l'autre, qu'on l'appelle engagée ou pas, lorsque son regard se pose plutôt sur les relations interpersonnelles et la société. Pensez à Toi l'ami si vous voulez comprendre ce que je veux dire.

Dans cette catégorie « engagée », mettons aussi Tôt ou tard. Yves Duteil apporte sa personne à la chanson. Ce texte lui va si bien qu’on croirait entendre une de ses propres chansons, tout en douceur, en amour et en poésie. (Youtube)

Il y a aussi Qu'est-ce qu'on a fait de nos rêves ? chantée par Daniel Lavoie, sur laquelle je reviendrai plus tard, et Quand je pense, par Danielle Oddera. Celle-là, exactement au centre de l'album, est un peu différente de toutes les autres. Sylvain a bien chanté cette chanson sur son premier disque en 1971, mais Danielle Oddera l'a endisquée en 1978 et la chante depuis, en un sens c'est devenu sa chanson à elle. Dans ma tête, c'est cette version de 1978 qui est la référence. En lisant la liste des chansons et des interprètes alors que Salut Sylvain ! était en prévente, je me suis dit que j'aurais aimé entendre Danielle Oddera chanter une nouvelle chanson, mais je m’étonne à beaucoup aimer cette nouvelle version.

Déjà enrobé de musique forte en 1971 et en 1978, le très court refrain, Je me demande / Dans quel monde ils vivront ? soutenu par l'orchestration, devient un cri fort et puissant, entre les couplets portant plus d'émotion, pas nécessairement plus de volume, mais une interprétation très touchante de Danielle Oddera. Elle deviendra probablement dans ma tête la nouvelle version de référence. (Youtube)

Finalement, dans À frais virés (partis de zéro), si Sylvain, sur le disque Qu'est-ce qu'on a fait de nos rêves ? (1994) se permettait un peu de rire dans la voix face à l'ironie du monde des puissants, Louis-Jean Cormier, lui, ferme l'album en faisant siennes la colère et l'indignation qui donnent son souffle au texte, au son d'une musique où l'on distingue un rythme simple de guitare et un battement grave et régulier qui n'est pas sans rappeler le bruit des bottes. (Youtube)

Que l'équipe ait choisi de commencer (Petit Matin) et de fermer l'album ainsi, avec Quand je pense en plein centre, me semble significatif. Je n’en rendrai pas de grand verdict sur notre époque, mais on constate à la lumière de ces belles relectures que ces chansons décodent aussi bien le monde de 2016 que celui d’il y a quelques décennies.

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J'étais vraiment très heureux de voir que Carte postale était sur cet album, comme c'est une des chansons méconnues de Sylvain qui sont énormes dans ma mythologie personnelle, chanson qui m'a accompagné, grâce à mon iPod ou parce que je la fredonnais, sur un nombre incalculable de vols de nuit, à une autre époque où je voyageais souvent. La chanson s'ouvre ici sur un motif de piano aux notes embrouillées qui sonne très Antoine Gratton, annonce claire qu'il a fait la chanson sienne. Ce motif revient, joliment, tout au long de la chanson. Après le premier couplet, un rythme fort et clair de batterie apparaît et fait avancer la chanson au même rythme rapide jusqu'à la fin. C'était là mon plus grand choc de l'album. La lenteur et la grandeur de l'orchestre de la version originale m'avaient toujours parlé mélancolie. Antoine Gratton, lui, peut-être plus sainement que moi jadis, semble content d'être en voyage, malgré la solitude, malgré la nuit, et les parfums de sa blonde, dont il ne s'ennuie pas moins, ajoutent à son bonheur. Les mots sur sa carte postale sont en conséquence plus grandiloquents, mais pas moins romantiques que ceux de Sylvain. (Youtube 1 et Youtube 2) C'est probablement ma chanson préférée sur l'album. Je dis probablement, parce qu’il y a aussi Marie-Hélène. Pas facile de choisir...

Alors que cette nouvelle mouture de Carte postale opère un changement de ton, c’est un peu à un changement de point de vue que nous avons affaire pour Marie-Hélène. L’effet est plus clair dans Lettre de Toronto. Émile Proulx-Cloutier n'est pas le « Sylvain » recevant une lettre de son ami, mais bien l'ami qui envoie la lettre, prêt à conquérir le monde. Ce sont encore les mêmes mots, mais nous avons en fin de compte une tout autre chanson. La guitare, lointain écho des cordes extraordinaires de l’originale, finit par se noyer et mourir dans le piano et les percussions des rêves du narrateur. Frissons garantis. (Youtube)

Marie-Hélène chantée par Les sœurs Boulay est de toute beauté, d'un bout à l'autre, surtout là où leurs deux voix se rejoignent, en particulier en harmonie dans le refrain. Là où elles s'écartent de la mélodie de Sylvain, elles la modulent de façon à lui donner un peu plus de mélancolie. À cause de ce changement, et parce que ce sont des jeunes femmes qui chantent, j'ai vraiment l'impression qu'elles chantent le point de vue de Marie-Hélène, malgré la troisième personne. Sylvain, observateur fin et sensible, écrivait tout de même sur quelque chose d'extérieur à lui-même, un certain sentiment de la jeunesse qu’il n’avait pas connu, mais qui a perduré après les années 70. Le dédoublement des voix appuie aussi cette idée qu’elles chantent « la jeunesse », une certaine jeunesse. L’interprétation double est particulièrement touchante pour moi parce que le dédoublement se retrouve aussi dans mon histoire, c’est-à-dire mon roman, ma Marie-Hélène.

La guitare, comme la guitare et les percussions de l’originale, fait avancer la chanson à un rythme marqué et constant, car Marie-Hélène, quand elle n’est pas « en mobylette, en métro ou à pied », quand elle est dans son appartement, « est partie en voyage ». Ils ont tout compris. (Youtube)

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Les autres chansons, comme Carte postale, font ressortir des sentiments nouveaux, toujours dans le respect, avec intelligence et sensibilité. Voici quelques notes en vrac.

La basse-ville. Michel Rivard chante avec peut-être plus de nostalgie que Sylvain, certainement avec une plus grande distance. On entend la fierté de l'enfant à travers Sylvain qui demande « un cornet de crème à glace » ; il déclame fortement que « quand on est de la basse-ville, on n'est pas de la haute-ville ». Le ton se fait plus égal chez Michel Rivard. Pas que ce soit mal, au contraire, il ne pouvait pas être plus près de l'enfant de la basse-ville que Sylvain. Ça me donne l'impression que le narrateur a vieilli, et les émotions de son vieil âge, les émotions des souvenirs lointains, ont une texture différente, mais ne sont pas moins prenantes. (Youtube)

Qu'est-ce qu'on a fait de nos rêves ? Le piano de Sylvain se voit remplacé par des notes électroniques réverbérantes, ce qui laisse toute la place à la voix de Daniel Lavoie, qui sonne contrôlée, atténuée même aux quelques endroits où elle devient plus puissante. Alors que Sylvain pouvait sembler crier au-dehors, à la fois de tristesse et d’espoir en chantant « même trop fous, même trop grands », un mélange semblable de désillusion, de colère, de tristesse devient chez Daniel Lavoie un voyage dans des réflexions intérieures. J’y vois sens une parenté avec La basse-ville de Michel Rivard. Il y a quelque chose d’halluciné à écouter de la musique en conduisant la nuit, quand la route est longue et monotone, que les discussions ou les réflexions se sont épuisées. Voici une chanson parfaite pour l’occasion. (Youtube)

Les choses inutiles. Je n'ai pas connu Sylvain personnellement, mais je ne peux pas m'empêcher de penser à chaque écoute que c'est la chanson qui lui aurait fait le plus plaisir. Les choses inutiles était déjà bien jazzée dans sa version originale et dans Versant Jazz 2, mais Emilie-Claire Barlow apporte quelque chose qui était hors d'atteinte pour Sylvain, une voix féminine à la texture du jazz et à l'accent anglophone. (Youtube)

Toi l'ami. Une grande chanson portée par une « grande voix », celle d’Isabelle Boulay. Un peu comme pour Yves Duteil, la personnalité publique d'Isabelle Boulay, à l’image de celle de Sylvain quand il la chantait, nous permet de croire d'emblée à la sincérité qu'on entend. S'ensuivent les grandes émotions et la larme à l’oeil. (Youtube)

Qui saura jamais. Une autre de ces chansons moins connues que j'aime beaucoup. Bïa chante sa reconnaissance avec douceur, avec tendresse et amour ; c'était aussi le cas chez Sylvain, mais alors que chez lui, le tout exprimait aussi une certaine fragilité, ici c'est plutôt d'une grande joie que Bïa me parle. Sylvain chantait avant son « soir de première » ; Bïa, pendant ou après. (Youtube)

Venir au monde. Le Venir au monde de Sylvain en 1981 avait une ouverture plutôt dramatique, puis le piano et l'orchestre nous emmenaient dans la grandeur de l'amour romantique, et la beauté poétique du texte. La musique souvent plus joyeuse, toujours moins dramatique et l’interprétation calme et douce de Catherine Major me parlent d'un amour avec un plus petit a, envisagé au jour le jour, l'amour d'un coeur qui a aimé différemment, peut-être, que celui de Sylvain. Certainement, elle donne le goût du bonheur. (Youtube)

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Salut Sylvain ! sur iTunes

Les chansons originales :

(voir aussi http://www.sylvainlelievre.com/musique/)

L'intégrale de Sylvain Lelièvre (1975-1989)

Qu'est-ce qu'on a fait de nos rêves

Les choses inutiles

Versant jazz

Versant jazz 2

Chansons retrouvées

Compilations récentes :

Au milieu de nous deux

Petite anthologie | de Limoilou à Tombouctou. GSI Musique, GSIC592 (pas de lien iTunes)